De TOI à MOI

Publié le par Phil Deckard

Titre : De TOI à MOI

 

Genre : Fantastique

 

Auteur : DELAY Philippe

 

Je me suis vraiment amusé à écrire ce texte. Et J’ai découvert par la suite que l’enseigne que je croyais avoir inventée….existe réellement.

 

Il y a aussi plusieurs façons de voir la fin. Bonne Lecture.

 

Synopsis

 

En général, l’auteur écrit une histoire puis elle est lue par vous, lecteurs. Et si l’auteur écrivait son histoire au fur et à mesure de votre lecture ? Impossible ? Peut être pas tant que ça…

 

 

media_file_47806.jpg

 

Le Bar " L'imaginaire " à Lille

 

 

Je déambulai dans la grande rue piétonne. Le soleil laissait passer les derniers rayons de la journée lorsque la température chuta brutalement. Il n’y avait pas grand monde à cette heure-ci. Quelques irréductibles avaient décidé de braver le froid hivernal mais cela ne dépendait pas vraiment d’eux ! Je déposai délicatement une pièce dans l’un de ces bonnets.

 

- Merci bien, mon bon Monsieur. Je vous souhaite une bonne soirée. Elle vous sera bénéfique

 

Tenant mon chapeau, je fis un petit signe d’encouragement de la tête puis continuai ma promenade. Les magasins étaient déjà tous fermés, laissant place à une nouvelle atmosphère, celle des bars. D’un pas assuré, je m’engouffrai dans une petite ruelle où l’enseigne du bar était à moitié éclairée. Lugubre comme endroit tout de même ! Les rayons solaires avaient disparu pour de bon, l’obscurité faisait son apparition. Un instant, je considérai la façade où il était écrit «  L’IMAGINAIRE ». Plutôt mystérieux alors que j’avais bien besoin de créativité en ce moment. J’entrepris de pousser la porte grinçante.

 

Vois-tu cher lecteur ou lectrice (oui, c’est bien à toi que je m’adresse), à première vue, ce bar est là depuis des années. Pourtant, je ne l’avais jamais remarqué jusqu’à aujourd’hui. C’était l’occasion de donner rendez-vous à mon meilleur ami, Anthony.

Ce lieu a quelque chose d’inhabituel.  Je ne me mets jamais à parler à mon lecteur pendant une histoire. Mais de quelles histoires parlons-nous exactement ? Celle qui se déroule en ce moment même ? Où va-t-elle nous mener ?

Je m’installe à une table et regarde tout autour de moi l’agencement du lieu. Il ne paie pas de mine. Un vieillard accoudé au bar me dévisageant, deux jeunes se disputant pour jouer devant une borne d’arcade et un grand costaud avec sa femme enlacés sur un canapé. J’allais oublier celle qui s’avance en ce moment vers moi.

 

- Bonjour Monsieur, qu’est ce que je vous sers ?

- Et bien, je prendrai un  demi-banane. C’est bon pour la concentration. Enfin juste la banane, n’est-ce pas ?

- J’en apprends tous les jours dites donc. Vous êtes seul ?

- Non, mon ami ne devrait plus tarder.

- Très bien, je reviendrai.

 

Cet endroit est très étonnant, j’ai l’impression de le connaître sans y avoir jamais mis les pieds.

Qu’en penses-tu lecteur ? Mon imagination serait-elle de retour ?

La serveuse a les cheveux blonds et lisses, attachés en queue de cheval. Le visage fin, de grands yeux verts, un chemisier blanc à manches longues et un pantalon jean serré. Je la vois derrière le comptoir actionner la bière pression. Je ne la connais pas et pourtant elle va faire partie de mon histoire. Je la prénomme Sabrina. La voilà qui revient vers moi.

 

- Et voilà votre  demi-banane. Vous désirez autre chose ?

- Euh…oui. Dites-moi Mademoiselle, vous ne vous appelleriez pas Sabrina, par hasard ?

- Si, bien sûr, comment le savez-vous ?

Elle resta bouche bée pendant un instant. Et moi aussi d’ailleurs.

- Hé bien, repris-je. Hé bien je suis aussi surpris que vous, comme je vous l’ai dit, c’était par pur hasard. Il faut croire que j’ai eu de la chance.

 

Tout sourire, elle repartit derrière le comptoir pour servir le vieillard.

La porte grinça. Anthony venait d’arriver, cherchant ses repères dans ce nouvel établissement. Je lui fis un signe du bras.

 

- Hey ! mon vieux Phil, ça alors mais qu’est-ce qui t’a pris de nous embarquer dans un tel endroit ?

- Je dois t’avouer que je suis aussi surpris que toi.

 

Il s’assit et Sabrina ne tarda pas à prendre sa commande. Un vodka-pomme pour être exact. Anthony était heureux de me revoir. Une bonne année que nous ne nous étions retrouvés.

 

- Alors ? lança Anthony. Tu écris toujours de la Science fiction et autres histoires rocambolesques ?

- Oui, toujours écrivain sauf que ces derniers temps, j’ai un peu de mal à être créatif. Tu sais, le fameux syndrome de la page blanche.

- Je vois. Tu n’as même pas une petite piste ? demanda-t-il avant de savourer la première gorgée de son élixir.

- A vrai dire, si. J’ai une piste. Elle est en cours.

- Ah ! bien !  et  de quoi s’agit-il au juste ?

- Hé bien ! Comment te dire ?  Elle se déroule en ce moment même.

- Tu veux dire à notre époque, renchérit Anthony.

- Non….je sais que ça peut te paraître bizarre mais ce lieu fait partie de l’histoire ainsi que Sabrina, les deux jeunes, le vieillard, le couple,….toi…et même moi.

 

Anthony me dévisagea comme s’il me prenait pour un fou. Il reposa le verre et commença à lui faire dessiner  des cercles humides sur la table. Il scruta les personnes présentes dans le bar et reprit la discussion d’un air sérieux en se penchant légèrement vers moi.

 

- Phil, ce que tu racontes, ce n’est pas possible. Tu le sais mieux que moi, un écrivain imagine une histoire où s’inspire du réel. Tu écris ta nouvelle ou ton roman. L’éditeur le fait presser à plusieurs exemplaires puis….

- Oui… oui, j’ai bien compris, inutile de me rappeler mon métier. Je vais faire simple. Par exemple, depuis que tu es rentré ici, tu fais partie de cette nouvelle. Notre discussion actuelle aussi. Et tes moindres faits et gestes sont décryptés par les lecteurs.

- Quoi ? Mais….nous sommes dans la réalité. Nous ne sommes pas des personnages de fiction. Admettons ! Qui contrôle cette histoire ?

- Eh bien…c’est moi. Je suis l’auteur.

 

Anthony se mit à rire bruyamment. Je me sentis gêné vis à vis des autres acteurs du bar. Les deux jeunes avaient délaissé la borne d’arcade pour une partie de billard. Anthony finit son verre d’un trait.

 

- Dis-moi, ce ne serait pas l’enseigne «  L’IMAGINAIRE » qui t’aurait tapé sur le système par hasard. Comment peux-tu être l’auteur d’une histoire que tu n’as pas écrite ?

- Elle s’écrit d’elle-même et se lit aussi en ce moment par des lecteurs.

- Bon ! Je n’en crois pas un mot mais comme il y a longtemps que nous ne nous sommes vus,  nous allons éviter les embrouilles. Si je te crois, cela voudrait dire que tu nous contrôles tous dans cette pièce. Tu connais mes prochaines pensées. Mais que fais-tu du libre arbitre ?

- Je l’ai compris en entrant. Ce bar a quelque chose de magique. Ici, il n’y a pas de libre arbitre.

 

Anthony ricana et demanda un autre vodka-pomme. Comme ma discussion semblait de moins en moins l’intéresser, il mata du coin de l’œil le couple. Bien entendu, c’est la femme qui attira son attention. Bien proportionnée, typée méditerranéenne, une cascade de cheveux châtain-foncé tombant sur ses épaules, son sourire éclatant subjugua mon meilleur ami. Je le devinais dans ses yeux étincelants. Elle se leva et frôla notre table. Anthony respira son parfum. Ses endorphines s’activèrent ce qui mit son cerveau en ébullition. Toute la scène n’avait pas échappé à l’homme costaud.

 

- Anthony ? dis-je en le secouant. Anthony ?

- Ah cette femme est superbe…chuchota-t-il en se penchant vers moi.

- Ecoute-moi,  comme dans tout récit, le lecteur s’attend à un élément perturbateur.

- Ah lâche-moi avec tes histoires. C’est faux, tout ça est dans tête, Phil. Tu sais…

 

Mais Anthony n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’il resta  paralysé un instant avant de lâcher :

 

- Je…je crois que voilà le perturbateur.

 

L’homme costaud s’avança à notre table et fixa de son regard noir mon meilleur ami.

Anthony était chétif, les cheveux courts, blonds aux yeux bleus et le visage creux. Sans conteste, il ne faisait  pas le poids. L’homme ne perdit pas de temps.

 

- C’est ma copine que tu regardes comme ça ?

- Non… c’est à dire que je…non. Vous avez une copine ?

 

Le poing parti dans la figure de mon ami. Il chancela et tomba à même le sol. La lèvre ensanglantée. Il me fit porter le chapeau.

 

- C’est lui, c’est mon pote qui a le contrôle sur l’histoire. Il a fait en sorte de que je reluque ta copine et que tu me tapes dessus.

- Tu racontes n’importe quoi, grogna l’homme.

 

Il le frappa à nouveau. C’est à ce moment que la femme, revint.

 

- Mais que se passe-t-il chéri ?

- Viens, on s’en va, répondit-il.

 

Le couple claqua la porte du bar et Anthony se releva difficilement sous l’œil amusé du vieillard. Les deux jeunes continuèrent leur partie de billard.

 

- Alors tu me crois à présent, lançai-je.

- D’accord, tu as gagné.

 

Anthony se rassit et but sa vodka. L’alcool brûla sa lèvre inférieure, ensanglantée.

 

- C’est un bon cicatrisant, n’est-ce pas ? Tu vois je pense à tout.

- Si tu penses à tout, cela signifie que tu connais déjà la fin de la nouvelle ?

- Non, je ne la connais pas. Je la découvrirai en même temps que toi et mon lecteur. Quoiqu’il en soit, on ne termine pas un récit sans une chute.

- Une chute ? s’interrogea Anthony.

- Oui, le lecteur s’imagine actuellement toute sorte de fin. Happy End ou pas. Nous sommes encore six dans ce bar. Il peut se passer n’importe quoi mais le lecteur ne doit pas s’y attendre. Je dois le surprendre, voilà ce qu’est une chute.

- Très bien, je te laisse guider ton œuvre. Je ne veux plus rien faire.

- C’est parce que je l’ai voulu, dis-je. C’est comme si je te mettais sur pause. Laisse-moi réfléchir à la suite des évènements…

 

Les deux jeunes s’équipèrent de leurs blousons et sortirent d’un pas décidé. Anthony me fixa, se demandant si j’avais eu une quelconque interaction avec eux. Sabrina lisait un journal et le vieillard avait des yeux vitreux bloqués sur son verre vide. Il tituba et sa barbe grisonnante vînt se caler sur le comptoir. Bonne nuit mon vieux. La musique de fond meublait à présent le bar. Plus personne ne parlait.

 

Je brisai le silence.

 

- Ca y est, j’ai ma chute !

 

Anthony tremblota à l’idée de savoir si j’allais lui réserver un happy end ou non. Généralement, tout est bien qui finit bien et je souhaite une chute originale.

 

- Tu vois la jolie serveuse. Elle s’appelle Sabrina.

- Ce n’est pas mon type, dit-il.

- Oh que si ! Elle le sera. Va la voir et donne lui ce billet. C’est ma tournée. Je vais à présent te quitter et vous laisser faire connaissance. Ne t’inquiète pas, tu ne l’as pas remarqué mais elle te dévore des yeux depuis ton arrivée.

- Le lecteur le savait ?

- Maintenant oui. Je lâchai un sourire avant de remettre mon chapeau noir.

- Alors voilà, c’est un happy end. Finalement, tel que je te connais, je pensais que ta chute serait beaucoup plus impressionnante, déclara mon meilleur ami.

- A présent, ton personnage nous quitte. Il me reste une dernière petite chose à régler. Je vous souhaite plein de bonheur à tous les deux.

 

La porte grinça derrière moi. Le fond de l’air était frais. Je regardais à nouveau la façade du bar. Ses lettres-néons étaient toujours à moitié éclairées. Etonnant ce que l’on pouvait y lire. Sur le mot «  L’ IMAGINAIRE », les lettres qui brillaient au clair de lune se trouvaient être «l’iMAGInairE ».

Je ris tout seul. Effectivement, peut être y a-t-il eu un peu de MAGIE ce soir-là. En tout cas, elle a fait fonctionner mon IMAGINAIRE.

 

A présent, je me tourne vers toi lecteur. J’imagine que tu n’as pas souvent l’occasion d’entrer en contact avec un auteur via son histoire. En quelque sorte, tu fais toi aussi, partie intégrante de cette nouvelle. Mon meilleur ami a pris conscience que sa vie était comme un livre. Chaque jour, il écrit une nouvelle page, comme tout être vivant. Mais j’ai une dernière question à te poser avant de te laisser.

 

De toi à moi, ta vie ne ferait-elle pas partie d’une histoire toute tracée ?

Peut-être que quelque part, quelqu’un veille aussi sur toi…

Clin d’œil.

 


Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article